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La justice durcit son attitude envers les organisateurs de raves

• LE MONDE | 30.01.02 | 12h08

Deux jeunes qui avaient organisé une free party dans une papeterie désaffectée ont comparu, mardi 29 janvier, devant le tribunal correctionnel de Reims. Six mois après l'adoption d'une nouvelle loi, le procureur souhaite que la "justice soit là pour apporter une sanction pénale à ces manifestations".

Saisies de matériel de sonorisation, poursuites pénales alourdies contre les raveurs, procès exemplaires : la loi destinée à réglementer les free parties n'est pas encore entrée en vigueur mais les amateurs de fêtes techno gratuites et clandestines subissent déjà le durcissement des pouvoirs publics. Une fois le décret d'application publié, sans doute fin février d'après le ministère de l'intérieur, la nouvelle réglementation soumettra l'organisation des "rassemblements exclusivement festifs à caractère musical" à une déclaration préalable auprès de la préfecture, sous peine d'une amende de 1 500 euros et de la saisie du matériel utilisé. Dénoncé par les raveurs comme liberticide et anti-jeunes, le dispositif a été voté par l'Assemblée nationale, le 31 octobre 2001, dans le cadre de la loi sur la sécurité quotidienne, après de longues tergiversations au sein du gouvernement et de la majorité (Le Monde daté 28-29 octobre 2001).

Par l'importance des charges retenues et la sévérité du contrôle judiciaire imposé aux prévenus, le procès de deux organisateurs de raves devant le tribunal correctionnel de Reims (Marne), mardi 29 janvier, traduit bien cette volonté de fermeté d'ores et déjà à l'ordre du jour. "On souhaite montrer que la justice est là pour apporter une réponse pénale à ce genre de manifestations, vis-à-vis de l'opinion, des élus et des organisateurs de ces manifestations qui ont parfois l'impression qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent, comme ils veulent, assène le procureur de la République de Reims, Serge Dintroz. Il faut que les organisateurs assument leurs responsabilités et assurent la sécurité des participants."

Du point de vue répressif, l'intérêt de la nouvelle loi réside, selon lui, dans la saisie du matériel de sonorisation. Jusqu'à présent, elle se pratiquait, mais au prix de quelques accommodements juridiques, reconnaît M. Dintroz : "Il n'y avait pas de disposition spécifique, il fallait prendre des textes de portée générale et les interpréter dans un montage juridique que le tribunal pouvait suivre ou pas." Ce montage pouvait notamment consister à confisquer le matériel en tant qu'objet ayant permis la commission du délit poursuivi, comme la mise en danger de la vie d'autrui pour une rave s'étant déroulée dans un lieu jugé dangereux. D'après le procureur, la confiscation comme sanction à part entière constitue une arme redoutable. "La sonorisation, c'est le nerf de la guerre, explique M. Dintroz. Sans elle, les raves ne peuvent pas exister."

DES PETITIONS CIRCULENT

L'effet dissuasif de ce raidissement commence à se faire sentir, comme le souligne Cyril, organisateur de raves dans l'Est de la France condamné, en novembre 2001, à une peine d'emprisonnement avec sursis à la suite d'une free party. "Ça fait réfléchir. On peut toujours y aller à l'arrache mais, en ce moment, on flippe",témoigne le jeune homme, qui organise des fêtes techno depuis huit ans et appartient au sound system Dézakore. Cyril a dû créer une société pour organiser des raves en se conformant aux procédures légales. Mais il s'insurge contre la stratégie judiciaire qui consiste, selon lui, à s'en prendre à des cibles en vue dans le milieu des raveurs pour inciter les autres à rentrer dans les rangs : "Ils veulent faire des exemples. Dans l'Est, les deux sons les plus anciens se sont fait descendre." L'organisateur de free parties dénonce un véritable harcèlement. "Tout le monde nous tombe dessus en même temps, la justice, le fisc. C'est une chasse, on veut stopper le mouvement, affirme Cyril.Louer du son, ça devient chaud et quand on veut une salle, c'est 5 000 francs (760 euros) plus cher parce que c'est de la techno."

Face à ces menaces, une partie du milieu de la free party tente de se mobiliser pour faire pression sur le gouvernement et les élus. Des manifestations rassemblant quelques centaines de personnes ont été organisées dans plusieurs villes, comme Rennes, Metz ou Nîmes, ces dernières semaines. A Quimper, les raveurs sont descendus dans la rue à plusieurs reprises avant d'obtenir la restitution du matériel de sonorisation saisi lors d'une fête techno organisée pendant la nuit de la Saint-Sylvestre.

Des pétitions et des textes de protestation circulent sur Internet. "Aujourd'hui, en France, la police peut voler son matériel à un artiste qui ne courbe pas l'échine devant les diktats étatiques qu'il refuse", s'alarme Okosystem, un site animé par l'un des membres du collectif des raveurs ayant participé aux discussions avec le gouvernement avant le vote de la loi. D'autres textes appellent à une sanction par les urnes : "Attention ! L'Etat veut nous chasser. Battons-nous avec ses armes. Brandissez vos cartes d'électeurs devant les caméras !"

Le ministère de l'intérieur ne s'inquiète guère d'une hypothétique mobilisation politique des amateurs de techno. Il n'en demeure pas moins soucieux de préserver une légitimité à la concertation qu'il a engagée sur une charte dite "des bonnes pratiques". Ce document est censé définir, de manière consensuelle, l'organisation des raves dans le nouveau dispositif. Les textes de la charte et du décret d'application ont été communiqués aux représentants des raveurs, pour consultation. Mais pour l'instant, seul le milieu de la techno légale et commerciale participe aux discussions. Les représentants des free parties ont quitté la table des négociations avant même le vote de la loi et ne semblent pas disposer à y revenir.

Frédéric Chambon

© Le Monde 2002